36 vues de l'Opéra de Sydney

Y a-t-il une image qui symbolise mieux l’Australie que celle l’Opéra de Sydney ? Ce chef d’œuvre architectural fait partie de ces lieux mythiques que tout le monde sait reconnaitre au premier coup d’œil, au même titre que la Statue de la Liberté, les pyramides d’Egypte ou bien encore la Tour Eiffel. 50 ans après son inauguration, j’ai voulu rendre hommage à ce bâtiment extraordinaire et aux hommes qui l’ont conçu en m’inspirant de l’œuvre de l’artiste japonais Hokusai : voici 36 vues de l’Opéra de Sydney.

Le nom d’Hokusai ne vous dit peut-être rien, mais je suis prêt à parier que vous connaissez au moins l’une de ses œuvres : La Grande Vague de Kanagawa. Cette estampe extrêmement célèbre fait partie de la série 36 vues du Mont Fuji, réalisée par ce peintre et dessinateur japonais entre 1831 et 1833, et qui a depuis inspiré un grand nombre d’artistes. Plus modestement, elle m’a aussi inspiré moi-même pour cet article !

Je me souviendrai toute ma vie de l’émotion qui m’a étreint la toute première fois que j’ai contemplé l’Opéra de Sydney. C’était en septembre 2016, j’étais en Australie depuis près de trois mois, et cela faisait plusieurs jours déjà que j’avais hâte de découvrir la plus grande ville du pays. Je ne savais alors rien ou presque au sujet de ce bâtiment sublime, pas même le nom de son architecte ! Une erreur réparée depuis, et 50 ans après son inauguration, le 20 octobre 1973, j’ai voulu vous faire découvrir son histoire fascinante et tragique à travers cette série de 36 vues de l’Opéra de Sydney, dont voici la première.

L'Histoire de l'Opéra de Sydney

Dans les années 1950, Sydney n’avait pas encore la prestance internationale qu’elle a aujourd’hui. Elle était même éclipsée par sa grande rivale Melbourne, où furent organisés les Jeux Olympiques de 1956 ! Il était temps pour la ville de réagir. Sous l’impulsion du directeur du Conservatoire municipal Eugène Goossens et du premier ministre travailliste de Nouvelles-Galles du Sud Joseph Cahill, il fut décidé de construire un opéra flambant neuf sur la péninsule de Bennelong Point, au cœur de la baie dans le prolongement des jardins botaniques, où se trouvait jusque là le nettement moins glamour dépôt de tram. En 1955, un concours international de design fut organisé. Parmi les 233 participants, c’est un illustre inconnu Danois de 38 ans qui n’avait jamais rien construit en-dehors du Danemark qui fut choisi : Jørn Utzon.

Pourtant son projet aurait pu ne jamais voir le jour. Le jury initial, incapable de se décider, fit appel à l’architecte finno-américain Eero Saarinen pour trancher. Celui-ci repêcha la contribution d’Utzon, pourtant écartée par ses pairs. Une idée de génie lorsque l’on voit à quel point les projets finalistes semblaient peu inspirés… (lien vers le site web du Guardian en anglais).

La légende dit qu’Utzon trouva l’inspiration pour ces célèbres structures en forme de voiles ou de coquillages en pelant une orange. Il s’agit en réalité de sections d’une sphère, que l’on pourrait entièrement reconstituer en les associant les unes aux autres. Mais ce design révolutionnaire allait poser d’énormes problèmes techniques. Dès le début du chantier, les retards s’accumulèrent, et le coût explosa. En mai 1965, le parti libéral remporta les élections d’état de Nouvelles-Galles du Sud. Sous la pression du nouveau premier ministre Robert Askin, farouchement opposé à son projet, Jørn Utzon finit par démissionner. Il quitta l’Australie le 28 avril 1966 et ne revint jamais, incapable de voir sa vision dénaturée par le travail d’un autre. C’est à l’architecte australien Peter Hall que fut confié le soin d’achever les travaux.

L’Opéra fut finalement inauguré en grande pompe le 20 octobre 1973 par la reine Elizabeth II, plus de dix ans après la date initialement fixée. Le budget avait lui été multiplié par quinze, passant de sept à plus de cent millions de dollars ! Mais au-delà du coût matériel, il y eut aussi un important coût humain. Le nom d’Utzon ne fut pas prononcé une seule fois au cours de la cérémonie, et par une sorte de malédiction, ni lui ni aucun des autres trois hommes à l’origine de sa construction n’étaient présents. Joseph Cahill était décédé d’un infarctus en 1959 à 68 ans. Eero Saarinen était également mort des suites d’une tumeur au cerveau en 1961, à seulement 51 ans. Eugène Goossens avait lui été impliqué dans un scandale sexuel en 1956 et arrêté en possession de centaines d’articles pornographiques. Il quitta l’Australie pour l’Angleterre où il mourut en disgrâce six ans plus tard.

Peter Hall n’était pas non plus sorti indemne de ce chantier. Lorsqu’il accepta de reprendre le rôle d’Utzon au pied levé (après avoir fait partie des signataires d’une pétition réclamant son retour), certains de ses confrères le considérèrent comme un traître et la plupart de ses décisions furent vivement critiquées, ce qui lui pesa énormément. Il accomplit pourtant un travail remarquable, mais seul le nom de Jørn Utzon passa finalement à la postérité. Une plaque commémorant son œuvre fut inaugurée en 1993. Il reçut le Prix Pritzker en 2003, équivalent du Prix Nobel pour l’architecture, et en 2004, une salle entièrement rénovée selon ses directives fut rebaptisée Utzon Room. Il mourut le 29 novembre 2008 à 90 ans, sans avoir jamais contemplé « son » Opéra de ses propres yeux. Hall était pour sa part décédé en 1995 à 64 ans seulement, oublié du grand public, ruiné et en proie à des problèmes d’alcool.

L'Opéra de Sydney aujourd'hui

J’ignorais tout de ces drames qui avaient accompagné l’histoire de l’Opéra au moment de l’admirer pour la première fois. J’étais arrivé à Sydney un samedi soir, sous une pluie battante. Heureusement, le dimanche matin les nuages noirs de la veille avaient été remplacés par un ciel bleu éthéré parsemé de quelques cumulus blancs. Il était encore très tôt et il faisait frais, mais les rues étaient quasiment désertes à cet horaire matinal et j’étais le seul promeneur. J’avais marché jusqu’à Mrs Macquarie’s Point, le point de vue le plus célèbre sur l’Opéra. Le frisson qui m’avait parcouru l’échine au moment où mes yeux s’étaient posés sur sa silhouette si élégante n’était pas dû qu’au froid. Les sortes de coquilles qui lui servent de toiture semblaient jaillir du sol, lui donnant un aspect presque bondissant, comme s’il s’agissait d’un navire s’apprêtant à quitter le port dont les voiles immaculées viendraient juste d’être hissées, contrastant avec les énormes pylônes et la gracieuse arche d’acier du Harbour Bridge à l’arrière-plan. Ce panorama était de toute beauté.

Lors des jours suivants, j’ai pu l’observer sous toutes ses coutures. Depuis un ferry à destination de Manly…

…et en sens inverse en fin d’après-midi pour un coucher de soleil extraordinaire ;

depuis The Rocks, le quartier historique de Sydney au pied du Harbour Bridge ;

depuis le Harbour Bridge, justement, pendant la journée…

…mais aussi de nuit ;

depuis Kirribilli, de l’autre côté de la baie de Sydney, où les habitants ont les plus belles vues sur la ville ;

et depuis le Luna Park, avec cette fois le Harbour Bridge au premier plan.

Je l’ai regardé jouer à cache-cache avec les arbres du Jardin Botanique ;

j’ai admiré un voilier naviguer face à lui ;

j’ai pris des photos de très près

…j’ai pris des photos en noir et blanc

…j’ai pris des photos pendant la journée

…et j’ai pris des photos de nuit.

J’ai même vu un ferry utiliser les structures de l’Opéra en guise de voiles !

Mon seul regret est de ne l’avoir jamais vu durant Vivid Sydney, un festival de lumières durant lequel des formes et couleurs sublimes sont projetées sur sa structure. Peut-être un jour !

Pour en savoir plus sur l’histoire de l’Opéra de Sydney, consultez le site internet officiel (en anglais) sur lequel vous trouverez énormément de détails concernant sa construction !

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