La magie d'Uluru

Des millions de kilomètres carrés désertiques et plats comme la main. De la terre rouge à perte de vue. Un ciel bleu sans nuages, un soleil mortel. Et en plein milieu, un énorme monolithe ocre : Uluru. Avec l’Opéra de Sydney et la Grande Barrière de Corail, c’est l’un des emblèmes de l’Australie et je rêvais de le voir en vrai depuis très longtemps. J’ai attendu pour cela les tous derniers jours de ma première année dans le pays ; j’avais gardé en quelque sorte le meilleur pour la fin… Alors venez découvrir la magie d’Uluru avec moi !

La première fois que je l’ai vu, c’était par le hublot d’un avion. Enfin, sans compter toutes les fois où je l’avais déjà vu dans des documentaires, sur la couverture de mon guide Lonely Planet, sur des cartes postales, sur des mugs, ou sur tous les types de souvenirs imaginables. J’étais à bord d’un vol entre Melbourne et Yulara, le village pour touristes et son minuscule aéroport construits près de ce fabuleux monolithe. J’en profite pour vous glisser un conseil si vous faites le même itinéraire : choisissez un siège sur la gauche de l’appareil, suffisamment loin des ailes, et vous pourrez admirer Uluru depuis le ciel, avec les silhouettes des monts Kata Tjuta en toile de fond. Un panorama à couper le souffle…

Uluru and the Kata Tjuta seen from the sky

C’était la toute première fois que je voyageais sans mon van depuis mon arrivée en Australie. La fin de mon année dans le pays approchait, et après 11 mois et des milliers de kilomètres au volant, j’avais dû me résoudre à le vendre quelques jours plus tôt à Melbourne. Pour être honnête, c’était devenu une épave : la troisième vitesse ne s’enclenchait plus, le rétroviseur gauche était arraché, la porte arrière était bloquée… La seule personne qui avait accepté de me le reprendre était un ferrailleur, mais j’en avais quand même tiré un bon prix, à ma grande surprise. C’est pourquoi j’avais choisi de participer à un tour organisé pour découvrir Uluru et ses environs : ce n’est pas dans mes habitudes de voyage et si c’était à refaire j’essayerais plutôt de louer un véhicule pour pouvoir explorer la région à ma guise, mais c’était la solution la plus économique.

Arrivé à l’aéroport de Yulara, j’avais fait la rencontre des autres personnes ayant réservé le même tour que moi (la plupart très jeunes et soit en couple, soit entre amis, ce qui faisait de moi le seul voyageur solo du groupe), puis notre guide nous avait fait embarquer dans le grand minibus blanc qui allait nous servir de moyen de transport pour les trois prochains jours. Notre première destination avait été un centre culturel aborigène au pied d’Uluru, où nous ne nous étions pas attardés (dommage), avant de nous lancer sur le sentier qui en fait le tour.

Je savais qu’Uluru était un très gros rocher, mais ce n’est qu’au cours de cette randonnée que j’ai réalisé à quel point il était véritablement énorme. Il domine la plaine d’une hauteur de 348m, pour une altitude au sommet de 863m ; il mesure 2,5km de longueur, et il a un périmètre de 9,4km. Mais ce n’est que la partie visible… Un peu comme un iceberg, il y en a bien plus sous la surface : sept fois plus environ, avec une profondeur maximale de 2,5km ! Son poids estimé est d’environ 1,5 milliards de tonnes, soit 250 fois la Pyramide de Gizeh. Un sacrément gros rocher donc

Je me suis rapidement retrouvé à l’arrière du groupe, non pas parce que je marche lentement, mais parce que je m’arrêtais constamment pour faire des dizaines photos ! Cependant quelques panneaux indiquaient qu’il était interdit d’en prendre à certains endroits : Uluru est sacré pour les Aborigènes locaux (les Pitjantjatjara), et plusieurs lieux au pied du rocher sont encore aujourd’hui utilisés pour des rites religieux. Pour la même raison, l’ascension du sommet est considérée par les Aborigènes comme un véritable sacrilège, car allant totalement à l’encontre de leurs croyances. En cas d’accident parmi les nombreux touristes qui choisissaient malgré tout égoïstement de ne pas respecter leurs traditions (plusieurs dizaines de décès recensés !), cela pouvait même les amener à s’automutiler ou se scarifier… Heureusement l’ascension est enfin interdite depuis le 26 octobre 2019. En revanche, l’une des attractions à la mode aujourd’hui est de faire le tour d’Uluru en… segway. Cela me parait pourtant tellement incompatible avec son importance spirituelle ou sa beauté naturelle… C’est aussi par respect que j’utilise exclusivement son nom aborigène, (re)devenu le nom officiel en 1993, et pas celui d’Ayers Rock qui lui fut donné par les premiers explorateurs britanniques à la fin du 19e siècle.

Tout au long de cette randonnée, je suis resté émerveillé par la vue que j’avais sous les yeux. C’était un sentiment fantastique d’observer cette merveille d’aussi près. Loin d’être unie, la surface rocheuse était constamment changeante, évoquant ici un visage, là un poumon ; sa couleur était parfois rouge vif et parfois ocre selon la luminosité, avec des zones noires là où l’eau s’écoule lors de violents orages occasionnels. J’étais aussi très surpris par la végétation presque luxuriante et par le nombre d’arbres tout autour d’Uluru, là où je m’attendais à un paysage beaucoup plus aride. Il y avait même un assez large trou d’eau naturel au pied du versant sud ! Point positif également, comme le sentier qui en fait le tour est assez long (10,6km), j’étais pratiquement tout le temps seul, à l’écart des groupes de touristes, les meilleures conditions possibles pour apprécier le spectacle.

Environ à mi-parcours, un embranchement du chemin conduisait à la Kantju Gorge, une fissure dans le rocher avec une autre petite piscine naturelle à ses pieds. Encore maintenant, j’ai du mal à trouver les mots pour décrire ce lieu. Plus je m’approchais, et plus j’avais l’impression de physiquement ressentir quelque chose de spécial dans l’atmosphère, une ambiance mystique presque palpable, le mélange entre des traditions millénaires et la force et la beauté de la nature. Lorsque je suis arrivé au pied du rocher, les quelques personnes qui s’y trouvaient déjà semblaient toutes éprouver la même chose que moi : les seules paroles échangées étaient murmurées, et tout le monde se déplaçait le plus lentement et souplement possible pour ne pas faire le moindre bruit. Même si les photos étaient autorisées ici, je me sentais gêné d’utiliser mon appareil, et après quelques rapides clichés je l’ai vite rangé pour mieux apprécier cet instant magique. Aucune image ne pouvait de toute manière retranscrire l’émotion si particulière et intense de ce moment. C’était ça, la magie d’Uluru.

Si Uluru est aussi célèbre, c’est aussi pour un phénomène naturel quotidien : le coucher du soleil. A l’heure où les derniers rayons du jour se posent sur lui, il prend une teinte rouge flamboyante et presque irréelle. Une aire d’observation a été aménagée à l’endroit où la vue est censée être la meilleure ; mais forcément, c’est là que tout le monde se rend… Touristes individuels venus avec leur propre véhicule ou tours organisés, nous étions des dizaines de personnes massés sur cette aire, attendant que le soleil se couche. Tous les groupes comme le nôtre semblaient d’ailleurs avoir le même rituel : un buffet apéritif avec crackers et biscuits secs, et une flûte de champagne en plastique. Tout cela me semblait très artificiel et j’aurais de loin préféré vivre ce moment de manière plus recluse et contemplative, mais je dois reconnaitre que cette photo de moi devant le rocher est quand même plutôt sympa… Quant au spectacle prévu, il avait été un peu gâché par les nuages qui s’étaient peu à peu accumulés en fin de journée. Uluru ne s’était pas paré de la lumière rouge que j’espérais voir, mais en échange nous avions eu droit à un ciel absolument magnifique dans la direction opposée.

Le réveil avait été très matinal le lendemain, et pour cause : la première activité au programme du jour était d’aller observer le lever de soleil sur Uluru. Il existe là aussi une aire dédiée, avec plusieurs plateformes en bois surélevées et entourées d’une barrière métallique. Je crois que la foule était encore pire que la veille pour le coucher de soleil. La plateforme était bondée, mais par chance notre groupe était arrivée le premier et j’avais une place de choix, appuyé à la rambarde, sans devoir jouer des coudes au milieu des dizaines d’autres touristes brandissant leurs smartphones. Si j’avais été quelques rangées en arrière, cela m’aurait probablement complètement ruiné l’expérience… Mais à l’instant où les premiers rayons du soleil ont commencé à apparaitre, dévoilant la silhouette d’Uluru, masse sombre se découpant sur une ligne d’horizon rigoureusement plate, j’ai complètement fait abstraction des dizaines de personnes derrière moi. Le spectacle était à couper le souffle. Le genre de vue qui m’émeut profondément, au point de pratiquement me tirer des larmes…

La suite du tour nous avait permis de découvrir deux autres sites naturels splendides de la région, tout d’abord les Kata Tjuta (un nom aborigène qui signifie « beaucoup de têtes »), un groupe de 36 monolithes à seulement 25km d’Uluru ; puis le lendemain Kings Canyon, une faille aux falaises à pic impressionnantes, 350km plus au nord (autant dire juste à côté comparé à l’immensité du désert australien). En chemin, nous avions aussi admiré encore un autre monolithe, le Mont Conner ou le « fake Uluru ». Histoire vraie ou inventée, notre guide nous avait parlé d’un groupe de britanniques qui auraient fait toute la route depuis Alice Springs, s’étaient arrêtés prendre des photos du Mont Conner puis étaient repartis, persuadés d’avoir vu Uluru… Ces lieux étaient sublimes, et j’ai adoré me promener dans la Vallée des Vents au milieu des Kata Tjuta puis randonner à l’aube à Kings Canyon, mais l’émotion que j’avais ressenti face à Uluru était inégalable.

En revenant de Kings Canyon le troisième jour, en fin d’après-midi, notre minibus avait quitté la route principale au niveau d’une roadhouse (ces stations-services et relais routier au milieu de l’outback), puis après quelques kilomètres cahoteux sur une piste défoncée, nous étions arrivés au campement où nous allions passer notre dernière nuit : un simple container abritant un générateur pour avoir un peu d’électricité et l’équipement nécessaire pour la soirée, et un vaste espace libre à côté pour faire un feu et dormir tout autour. Après le bonheur intense d’avoir enfin découvert Uluru, c’est ce que j’ai préféré de ce tour ; je ne me serais jamais risqué à le faire seul. Le ciel nocturne était d’une clarté presque irréelle. Il n’y avait pas de Lune et la voie lactée brillait avec une intensité extraordinaire ; on aurait dit qu’il suffisait de tendre la main pour toucher une galaxie lointaine. L’expression dormir à la belle étoile n’avait jamais aussi bien porté son nom… Il y avait une petite dune de sable juste à côté de notre camp, le point de vue idéal pour admirer les environs et prendre quelques photos. Hormis les habitants de la roadhouse dont on apercevait les lumières non loin de là, il n’y avait aucun autre être humain à des dizaines de kilomètres à la ronde, et cette sensation était grisante.

Et puis le lendemain l’heure était venue de s’en aller… La plupart des participants du tour repartaient en avion depuis Yulara, tandis que je restais à bord du minibus pour un trajet d’environ 5h au cœur du désert australien jusqu’à Alice Springs, et ensuite Darwin et le retour en Europe. C’est avec une pointe de tristesse que j’ai vu disparaitre au loin la silhouette d’Uluru, mais également avec un profond sentiment de satisfaction et d’incroyables souvenirs en mémoire.

Bon à savoir avant de visiter Uluru

La meilleure période pour se rendre à Uluru et plus généralement dans le centre désertique de l’Australie s’étend de mai à septembre, de la fin de l’automne au début du printemps austral. Entre novembre et février, au cœur de l’été, les températures maximales dépassent allégrement les 35°C, avec un record à 47°C ! En hiver, les maximales sont beaucoup plus supportables et varient entre 20 et 25°C. En revanche les nuits sont très froides : il peut même (très rarement) geler ! Le tour auquel j’ai participé incluait la location d’un « swag », un sac de couchage portable traditionnel utilisé historiquement par les tondeurs de moutons itinérants ; c’est en quelques sorte le mélange entre un matelas et un épais duvet. En ajoutant une couche de vêtements supplémentaires, je ne ressentais pas le froid, même en dormant à la belle étoile avec une température chutant jusqu’à 5°C seulement. Autre gros avantage de voyager à cette période : il n’y a pratiquement pas de mouches. Croyez-moi, pour avoir subi leurs incessants bourdonnements dans mes yeux, oreilles et narines lors d’un road trip sur la côte ouest du pays en plein été, cela peut vite tourner au cauchemar !

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